À Manosque et Digne-les-Bains, Sabine Dufort, directrice du CSAPA 04 d’Addictions France, et Sébastian Duchatelle, chef de service et éducateur spécialisé, portent ensemble une vision renouvelée de l’accompagnement en addictologie. Leur structure, profondément ancrée dans son territoire, s’est ouverte depuis plusieurs années aux pratiques orientées rétablissement.
Entre héritage militant, ajustements cliniques et expérimentations collectives, ils racontent comment un changement de posture a transformé le quotidien de l’équipe et redonné toute sa place à la personne dans son propre parcours. Un récit d’expérience précieux, à lire comme une invitation à faire autrement.
À retenir en 4 points
Une structure implantée dans les territoires ruraux, au plus près des personnes.
Un partenariat durable avec le WFX, fondé sur une démarche de formation continue et de supervision.
Une transformation en profondeur de la posture professionnelle, au service de l’autodétermination.
Une démarche qui associe toute l’équipe et donne lieu à des outils adaptés à l’addictologie.
1. Une approche au plus près du terrain
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, le CSAPA (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) est une structure incontournable pour l’accompagnement des personnes concernées par des conduites addictives. Porté par l’association Addictions France, ce centre unique dans le département s’adresse à une population étendue géographiquement avec des consultations avancées dans plusieurs communes rurales.
Sabine Dufort raconte :
« On a développé dès le début des consultations avancées sur Digne, Sisteron, Riez, Forcalquier… C’est une façon d’aller au plus près des personnes. »
Le CSAPA 04 rassemble :
Un médecin (formé en tabacologie et sexologie, sensibilisé sur les questions de victimologie, TDAH et sur la santé mentale)
Des infirmières formées en tabacologie
Des psychologues formés aux TCC, EMDR, ACT, et thérapies familiales
Des éducateurs et assistants de service social
Des secrétaires et personnels d’accueil
Les nouvelles recrues sont formées dès leur arrivée. La transmission fait partie de la culture interne.
2. Une association historique, des valeurs fortes
Addictions France, issue de l’ANPA (Association nationale de prévention en alcoologie), existe depuis plus de 150 ans. Elle incarne une gouvernance associative non lucrative, militante, engagée dans la lutte contre la stigmatisation des personnes concernées par des conduites addictives.
« L’objectif est de changer le regard de la société sur les personnes concernées par les addictions. Encore aujourd’hui, en 2025, on sent que le stigmate est fort. »
Le CSAPA du 04 a vu le jour en 2010, dans le cadre d’une réforme nationale qui a fusionné les structures traitant l’alcool et celles traitant les stupéfiants. Depuis, il n’a cessé de se diversifier : consultation jeunes consommateurs, équipe mobile, consultations carcérales, etc.
« Aujourd’hui, on accompagne les conduites addictives avec ou sans substance : jeux, alimentation, travail, sexualité… »
Avec près de 1 400 personnes accompagnées chaque année, le CSAPA 04 est un acteur essentiel du territoire.
60 % des personnes arrivent par le bouche-à-oreille
20 à 25 % par la justice
Le reste via les partenaires : psychiatrie, hôpitaux, travailleurs sociaux, entreprises…
« On est à la croisée des chemins. On accompagne tout le monde : du chef d’entreprise à la personne à la rue. »
3. Pourquoi avoir fait appel au WFX ?
La rencontre avec le WFX s’est faite naturellement. Sabine, en s’intéressant aux approches orientées rétablissement, découvre le travail de Raphaël Bouloudnine.
« Je me suis dit : « Punaise, ce n’est pas possible, go ! Il faut qu’on prenne contact. » »
Elle embarque toute une équipe dans la dynamique : direction, médecins, infirmiers, éducateurs, psychologues, secrétaires… Tous participent à trois sessions de formation entre septembre 2022 et mars 2023 (initiation, approfondissement, et puis mise en pratique des principes du rétablissement). La démarche se prolonge par des supervisions cliniques régulières animées par Raphaël puis Vincent Commaille, toujours en place aujourd’hui.
4. Mise en œuvre concrète : des outils adaptés à l’addictologie
La formation donne lieu à une transformation à la fois culturelle et organisationnelle. Avec le soutien de la cellule qualité, l’équipe construit ses propres outils :
« On a travaillé avec notre cellule qualité pour transformer les apports en outils concrets. Ça a été un vrai travail d’équipe, avec des allers-retours, des tests sur le terrain. »
Parmi ces outils, le PAP (Plan d’Accompagnement Personnalisé) permet de co-construire avec la personne ses objectifs, de manière très concrète.
Sébastian Duchatelle explique :
« Ça permet d’éviter les accompagnements trop abstraits. On peut travailler des choses très précises : l’emploi, le logement, le lien familial… »
Sabine complète :
« Ce qui est précieux, c’est que ça permet aux personnes de se rendre compte de leurs propres ressources. Quand elles atteignent un objectif, même petit, ça redonne de la confiance. »
5. Une transformation tangible, portée par un changement de posture
La mise en œuvre des pratiques orientées rétablissement ne s’est pas limitée à l’élaboration d’outils : elle a profondément modifié les postures professionnelles. Toute l’équipe en témoigne, à commencer par Sébastian et Sabine, qui observent un glissement progressif mais assumé dans la manière d’accompagner.
« Avant, on fonctionnait beaucoup sur la réduction des produits. Maintenant, on aborde toutes les dimensions de la vie de la personne. Et ça, ça débloque des situations. »
Ce repositionnement permet d’ouvrir de nouveaux horizons, tant pour les professionnels que pour les personnes accompagnées. La relation d’aide se recentre sur les ressources, les envies et les temporalités singulières.
« C’est comme un second souffle pour les équipes. On sort de la boucle de la dépendance pour explorer d’autres espaces d’accompagnement. »
Les retours du terrain confortent cette approche : les personnes se sentent davantage reconnues et impliquées dans leur parcours.
« Les personnes nous disent qu’elles se sentent actrices de leur parcours. Qu’on les considère autrement. »
Ces évolutions se traduisent aussi par des résultats mesurables :
« Sur une année, 4 % des personnes qu’on a accompagnées ont vu leur usage évoluer positivement. Pour nous, c’est un indicateur fort. »
Mais au-delà des chiffres, c’est la cohérence globale de la démarche qui marque :
« Chez nous, tout le monde est dans cette dynamique. Ce n’est plus un outil en plus, c’est une posture intégrée. »
Une posture partagée, vivante, qui infuse désormais tous les niveaux de l’accompagnement.

6. Et demain ? Accueil repensé et pair-aidance
Les prochains jalons sont ambitieux :
Réduire les délais d’attente (jusqu’à 3 mois aujourd’hui)
Mettre en place un accueil d’information collectif dès l’arrivée
Embaucher deux médiateurs en santé-pairs (pair-aidants) à Digne et Manosque
« On a déjà expérimenté l’accueil de pair-aidants en stage, et ça a été très positif. Maintenant, on veut structurer ça. »
En parallèle, l’équipe reste en veille, continue à se former, à transmettre, et à faire évoluer ses pratiques.
Le partenariat entre le CSAPA 04 et le WFX a permis bien plus qu’une formation. Il a initié une transformation structurelle, collective et pérenne. Les pratiques orientées rétablissement y sont devenues un socle commun, une culture partagée qui profite autant aux professionnels qu’aux personnes accompagnées.
“Ce qu’on veut, c’est que les personnes repartent avec leur propre boîte à outils. Et que, même sans nous, ça puisse continuer à marcher.”
Un modèle inspirant pour d’autres structures souhaitant remettre la personne au cœur de l’accompagnement.
